Quand j’avais six ans, mon père a acheté une Simca Vedette flambant neuve, une assez grosse voiture pleine de chromes qui faisait un peu nouveau riche, et il en était discrètement fier. Peu de temps plus tard, au cours d’une séance de catéchisme, le curé nous a dit tout cru : « On ne va pas au ciel en Vedette ! » C’était vachard, et nous avons évidemment rapporté ces paroles à notre père, qui les prit assez mal. Bien plus tard, nous en avons souvent reparlé en famille, en riant du culot du curé…
Un de mes oncles était administrateur d’une petite banque mutualiste du canton voisin. A ce titre, il participait à un comité des prêts qui donnait un avis sur les demandes de crédit des agriculteurs. J’avais le sentiment qu’il s’agissait-là d’un pouvoir mystérieux et pas banal.
J’étais enfant de chœur dans la paroisse du village, et il était question d’argent dans deux occasions traditionnelles : à Pâques, nous allions dans les maisons du bourg et les habitants nous donnaient des œufs de Pâques et parfois un peu d’argent ; et lorsqu’un mariage était célébré, les enfants de chœur faisaient la quête à la fin de la messe, au moment où les nombreux parents et amis sortaient de l’église après avoir félicité les mariés et leurs parents.
Lorsque la quête était terminée, nous étalions ce trésor dans le secret de la sacristie, c’était un vrai déluge de pièces et parfois de billets, nous comptions et nous nous partagions tout ce butin (bien entendu avec l’accord du curé). Les sommes collectées nous semblaient énormes, c’était une richesse invraisemblable qui nous tombait du ciel… ! Mais je ne me souviens pas de l’emploi que nous en faisions.
J’étais par ailleurs une sorte de cueilleur-chasseur : je surveillais la vie des pigeons de la ferme familiale et notamment ceux du nid naturel que faisait une petite excavation dans l’un des murs de la grange auquel je pouvais accéder facilement. Dès qu’un couple de pigeons s’y était installé pour se reproduire, je surveillais la couvaison des œufs, puis la croissance des pigeonneaux, et quand l’un d’eux atteignait l’âge de quitter le nid, je m’en emparais et je le vendais au marchand de volailles qui passait chaque semaine à la ferme : ce sont probablement les premières transactions économiques – animal de la ferme contre argent – que j’ai faites, et je me souviens qu’elles m’excitaient beaucoup.
J’étais également éleveur de cochons d’Inde. J’avais appris que des laboratoires pharmaceutiques en achetaient pour faire les cobayes de leurs expérimentations. La vente se faisait par l’intermédiaire du même marchand de volailles ambulant.
J’ai donc créé un petit élevage de cochons d’Inde que je nourrissais avec de l’herbe des champs et dont je surveillais la reproduction. Tel Perrette et son pot-au-lait, j’ai longtemps fantasmé que j’allais devenir riche avec la vente de ces petits animaux qui se reproduisaient à vive allure. Bizarrement, je n’ai aucun souvenir d’en avoir jamais vendu un seul : ont-ils été atteints de maladie, ou ont-ils disparu pour d’autres raisons ? Aucun souvenir !
0 commentaires