Faut-il aimer l’argent ?

Il faut mépriser l’argent, surtout la petite monnaie.
François Cavanna

L’argent est sale, il ne m’intéresse pas et je ressens envers lui un profond dégoût. Pour moi, c’est à cause de l’argent que l’humanité se déchire et que le monde va mal. J’ai toujours rejeté l’argent et je me suis mis à le haïr il y a longtemps. Je n’aime pas le pouvoir qu’il peut apporter. Je pense que beaucoup de gens l’utilisent pour faire du mal aux autres.

Propos d’un participant à un séminaire sur la relation à l’argent

Notre relation à l’argent

Certaines personnes aiment l’argent, elles le considèrent indispensable pour vivre bien et pour aider ceux qu’on aime, elles en gagnent assez facilement… ce qui renforce la confiance et l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes.

D’autres au contraire considèrent que l’argent est dangereux, responsable de l’injustice sociale, de la domination et de l’exploitation des uns par les autres, qu’il brise l’amitié, rend les gens dépendants et consommateurs : elles le craignent ou le méprisent et n’aiment pas en avoir sur leur compte bancaire.

D’autres (ou parfois les mêmes) dépensent sans compter, ou sont avares, ou encore constituent une épargne de précaution importante afin de se sentir en sécurité face aux possibles accidents de la vie.

Dans une même fratrie, des frères et sœurs élevés par les mêmes parents dans un même univers économique et selon les mêmes principes éducatifs gèrent leur argent de poche de façon diamétralement opposée dès le plus jeune âge : l’un (ou l’une) met une partie importante de cet argent dans sa tirelire, tandis que l’autre se révèle un panier percé.

Les adolescents ont tendance à dépenser beaucoup (souvent aux frais de leurs parents), tandis que les personnes âgées ont plutôt tendance à économiser.

De nombreuses personnes, enfin, pensent souvent à l’argent parce qu’elles en manquent gravement, ou parce qu’elles sont excitées à l’idée d’en gagner beaucoup ou encore de faire certaines dépenses. D’autres méprisent l’argent et essaient de le fuir et d’y penser le moins souvent possible.

Ces exemples illustrent que :

  • Nos comportements à l’égard de l’argent sont différents selon notre personnalité, notre âge ou notre classe sociale ;
  • L’argent suscite en nous des émotions ou des sentiments souvent puissants et parfois contradictoires ;
  • Chacun de nous a une relation à l’argent qui lui est propre ;
  • Cette relation peut évoluer avec le temps.

Quels sont les « ingrédients » de notre relation à l’argent ? 

Les principaux constituants de notre relation à l’argent sont les suivants (voir des exemples dans l’encadré)

  • Nos comportements habituels concrets à l’égard de l’argent, et notamment la manière dont nous gérons notre budget.
  • Les sentiments ou les émotions que l’argent suscite en nous, qui sont souvent puissants et parfois dévastateurs.
    Les témoignages cités au début du présent chapitre illustre combien cet objet bizarre qu’est l’argent excite nos émotions et nos sentiments : le plaisir, la satisfaction, le bonheur, la déception, la frustration, la peur de manquer, le désir d’en avoir à l’infini, la prudence, la prévoyance, mais aussi le dégoût, le mépris, la haine, la peur.
  • Les représentations que nous avons de l’argent, c’est-à-dire les premiers mots, les premières images ou les premières pensées qui nous viennent à l’esprit quand on nous demande ce qu’évoque pour nous le mot « argent ». Ces représentations sont en partie inconscientes. Globalement, elles sont souvent majoritairement polarisées dans le positif (« J’aime l’argent, je voudrais en avoir beaucoup ») ou dans le négatif (« L’argent est dangereux et destructeur, il m’angoisse et je le méprise »). Parfois aussi, notre relation à l’argent comporte des représentations positive et négatives
  • Nos croyances au sujet de l’argent, souvent héritées de nos parents à travers leurs paroles et leurs comportements, ou héritées de notre milieu social

Qu’est-ce qui détermine notre relation à l’argent ?

Certains facteurs qui structurent notre relation à l’argent sont clairement identifiables, d’autres semblent plus mystérieux. Parmi les éléments connus qui influencent notre relation à l’argent, on peut noter :

  • L’environnement économique et social : la relation à l’argent d’un paysan du Pérou n’est pas la même que celle d’un homme d’affaires habitant Bordeaux, celle d’un étudiant pauvre de Nairobi ou encore celle d’un banquier d’affaires de New York.
  • L’environnement culturel dans lequel on vit : le nôtre aujourd’hui en Europe est majoritairement structuré autour de l’argent et de la consommation. Le paradigme culturel véhiculé par la publicité en est : « La valeur suprême est le bonheur ; la consommation apporte le bonheur ; pour consommer, il faut se procurer beaucoup d’argent ». Le « Je pense, donc je suis » du philosophe Descartes a fait place à « Je consomme, donc je suis ».
  • L’éducation à l’argent que nous avons reçue de nos parents, les valeurs qu’ils nous ont transmises, leurs paroles, leurs habitudes, leurs pratiques quotidiennes à propos de l’argent, du travail, de l’épargne, de l’investissement, du jeu, du don, de la manière de conduire les transactions économiques etc.
  • Les histoires d’argent qui sont arrivées à nos ancêtres en remontant jusqu’à quatre ou cinq générations, voire plus, et dont nous sommes les dépositaires et les héritiers volontaires ou non : les réussites, mais aussi les faillites, les mariages financièrement « réussis » ou « ratés », les captations d’héritage, les violences de voisinage à propos de l’argent, et y compris les secrets de famille.
  • Nos expériences de vie au regard de l’argent qui nous ont particulièrement marqué. Ex. humiliation sociale précoce liée à la grande pauvreté des parents ; éducation reçue de parents trop riches ; jubilation et sentiment d’opulence ressentis en touchant son premier salaire ; conflit avec un ex-conjoint à propos du règlement financier du divorce ; conflit avec les frères et sœurs au sujet de l’héritage des parents ; réussite professionnelle, etc.
  • Notre situation financière actuelle, quelles qu’en soient la forme et la qualité.

Faut-il aimer l’argent ?

Parmi les nombreux réglages que nous avons à faire avec l’argent, il y a celui de la distance :

  • Si nous lui accordons une trop grande importance, nous risquons de passer à côté de la vraie vie ;
  • Si nous le traitons avec mépris ou par le déni, nous risquons de rencontrer des difficultés financières qui risquent de perturber sérieusement notre vie.

L’optimum serait d’en avoir suffisamment pour vivre bien, sans qu’il nous tourmente et sans qu’il consomme une part excessive de notre énergie psychique.

Allons droit au but : de même que nous avons intérêt à aimer être en bonne santé, nous avons intérêt à aimer l’argent ! C’est la première des conditions d’une relation apaisée et saine avec cet objet.

Mais aimer l’argent n’est pas ce que l’on croit trop souvent : quand on dit qu’une personne aime (trop) l’argent, c’est souvent pour signifier qu’elle est fascinée par lui et qu’elle cherche à en gagner et à l’amasser par tous les moyens, ou encore qu’elle le dépense sans compter.  

Aimer l’argent, c’est d’abord en avoir une représentation juste :

  • Le considérer pour ce qu’il est : un instrument d’échange entre les humains, une énergie qui circule entre nous, un objet précieux qui nous permet de vivre, d’agir, de réaliser des projets, de nous réaliser nous-mêmes, etc.
  • Ne pas le considérer comme un objet magique et fascinant qui serait le centre du monde, mais le traiter avec soin, avec suffisamment de recul et de détachement ;
  • Ne pas le mépriser, ne pas le considérer comme un objet dangereux ou maléfique qu’il conviendrait de fuir ;
  • Le mettre à une bonne distance, ni trop proche, ni trop lointaine ;
  • Le considérer comme un objet neutre qui n’est pas une personne, qui ne pense pas, qui n’agit pas par lui-même, qui n’est ni destructeur ni diabolique mais que les humains peuvent utiliser alternativement pour des fins utiles, ou négatives, ou simplement neutres.

Aimer l’argent, c’est également

  • Savoir où il est et combien on en a ;
  • Se réjouir d’en avoir ;
  • Imaginer tout ce qu’il va nous permettre de faire, pour nous-même et pour les autres ;
  • En prendre soin ;
  • Le protéger contre ceux qui cherchent à nous le prendre ;
  • Ne pas le gaspiller ;
  • Etc.

Les personnes qui manquent gravement d’argent et pour lesquelles ce manque est une source continuelle d’ennuis et de souffrances, semblent avoir assez fréquemment une image négative de l’argent : de façon plus ou moins intense et consciente, elles associent l’argent à des images d’injustice, de saleté, de violence, de danger, de destruction, d’interdit, de culpabilité, de honte, etc.

Ces sentiments négatifs peuvent expliquer, au moins en partie, leurs difficultés d’argent. Ce constat ne constitue évidemment ni un jugement ni une critique à leur égard, car leur vision négative de l’argent, pas toujours consciente, résulte souvent de leur histoire de vie et de leurs héritages intergénérationnels.

Que serait une « bonne » relation à l’argent ?

Une certaine partie de la population semble entretenir avec l’argent une relation plutôt paisible et heureuse. Comment pourrions-nous caractériser une relation saine et équilibrée avec l’argent ?

  • La capacité à se procurer l’argent, et notamment à :
    • En gagner suffisamment par des moyens légaux et éthiquement satisfaisants, sans avoir à « se tuer au travail » (Cette expression métaphorique semble se transformer de plus en plus en une réalité concrète) ;  
    • Faire avec autrui des transactions équitables ;  
    • Recevoir un don ;  
    • Recevoir, « intégrer » et gérer un héritage ;  
    • Emprunter de manière prudente, en fonction de ses capacités de remboursement (certaines personnes empruntent au-delà du raisonnable, d’autres sont, de manière également quasi-pathologique, incapables d’emprunter) ;
    • Faire valoir ses droits de toutes natures, et notamment ses droits sociaux.
  • La capacité à dépenser l’argent, et notamment à :
    • Le dépenser avec pertinence pour satisfaire d’abord ses besoins prioritaires et ensuite ses désirs ;
    • Limiter ses dépenses en fonction de ses revenus ; 
    • Constituer une épargne suffisante, au moins de précaution ; 
    • Faire des investissements utiles et si possible rentables ; 
    • Le donner gratuitement, de façon prudente ;
    • Le transmettre à ses héritiers.
  • La capacité à gérer l’argent, et notamment à :
    • Connaître les notions de base de la comptabilité familiale et du langage bancaire ; 
    • Penser l’argent dans la durée (faire des prévisions budgétaires, investir l’argent en vue d’en tirer un revenu ou de constituer un capital, faire une épargne de précaution etc.)  ;
    • Gérer le budget familial ;  
    • Constituer et gérer un patrimoine avec sagesse ;  
    • Prendre des risques raisonnables (ex : dans un placement) ;  
    • Manier une grosse somme d’argent (ex : pour acheter un logement) ;
    • Entretenir une relation équilibrée et vigilante avec son banquier.
  • Le fait de donner à l’argent une juste place dans notre vie, et notamment :
    •    Le regarder comme un moyen, non comme une fin ;
    •    Ne pas le diaboliser, ni le diviniser, avoir de lui une représentation réaliste et neutre ;
    •    Lui donner une place modérée (ni trop, ni trop peu) dans notre vie psychique (pensées, rêves, conversations, émotions…) ;
    •    Faire normalement confiance en l’avenir ;
    •    Faire confiance à un tiers (ce qui n’exclut ni les précautions préalables, ni éventuellement un contrôle a posteriori) ;
    •    Respecter la loi et les usages ;
    •    Etc.

Hypothèses de travail

Gérer son budget, ce n’est pas seulement manier son argent au jour le jour, aligner des chiffres et faire des tableaux. C’est également prendre conscience de ses sentiments et ses comportements à l’égard de l’argent et y mettre de l’ordre. Car ce sont souvent les bizarreries de notre relation à l’argent qui mènent le bal dans notre vie financière, et cela d’autant plus que nous n’en sommes pas conscients.

Nos hypothèses de travail sont les suivantes :

  • Chacun de nous a une relation complexe et différente à l’argent ;
  • Cette relation à l’argent est en partie non consciente ;
  • Il existe un lien de causalité étroit entre :
    • Notre relation à l’argent ;
    • Nos comportements financiers quotidiens ;
    • Notre situation financière et notamment notre patrimoine (d’autres facteurs plus apparents ont également une influence sur nos comportements financiers et sur notre situation financière : le niveau du chômage, notre situation familiale, notre état de santé, nos compétences professionnelles, etc.).
  • Certaines personnes ont, avec une intensité variable, une relation difficile, douloureuse ou même pathologique avec l’argent. Tout se passe comme si elles percevaient l’argent comme un objet mauvais ou dangereux ;
  • Ces personnes manquent assez souvent de confiance en elles et ne se reconnaissent qu’une assez faible valeur personnelle : il est donc difficile pour elles de s’autoriser à gagner de l’argent ou à constituer un patrimoine ou même une simple épargne de précaution, c’est-à-dire de vivre dans une aisance même minimale ;
  • Il est possible d’améliorer certains aspects de notre relation à l’argent ;
  • Pour avancer dans cette direction, il faut y travailler, et plusieurs pistes méritent d’être explorées :
    • Lire le texte Quelle est votre relation à l’argent ?
    • Devenir plus conscient de la relation que nous entretenons avec l’argent ;
    • En comprendre mieux l’origine ;
    • S’exercer à la modifier positivement, en faisant un travail de « nettoyage » des représentations négatives ou traumatiques que nous avons à son égard.

Ce travail peut se révéler un tournant salutaire de notre vie.

Encadré : Les constituants de la relation à l’argent : quelques exemples.

 Représentations associées à l’argent

  • Plutôt positives : richesse, beauté, vie de château, réussite sociale, puissance, bonheur ;
  • Plutôt négatives : injustice, domination, conflit, vol, exploitation, corruption ;
  • Plutôt neutres : échange, énergie, épargne, sécurité ;
  • Contradictoires : fascination et mépris ; richesse matérielle et misère morale (ou l’inverse !) ; sécurité (d’en avoir) et danger (de le perdre).

Sentiments suscités par l’argent

  • Plutôt « positifs » : désir ; plaisir ; autonomie ; confiance ; légèreté ; légitimité ; liberté ; plénitude ; puissance ; responsabilité ; sécurité ;
  • Plutôt « négatifs » : avidité ; cupidité ; avarice ; prodigalité ; envie ; toute-puissance ; supériorité ; domination ; angoisse ; mal-être ; violence ; colère ; culpabilité ; danger ; dépendance ; évitement ; répulsion ; exclusion ; honte ; illégitimité ; imposture ; inhibition ; impuissance ; injustice ; insécurité ; mépris ; tristesse, souffrance.
  • Plutôt neutres : excitation ; indifférence.

Croyances au sujet de l’argent

  • L’argent fait le bonheur ;
  • L’argent ne peut être que le fruit d’un vol ;
  • Il faut souffrir pour le gagner ;
  • Transmettre son patrimoine à ses enfants est une obligation morale ;
  • Je ne serai jamais riche ;
  • C’est dangereux d’en avoir trop ;
  • L’argent est de la pourriture ;
  • L’argent est la juste récompense de ceux qui travaillent ;
  • La fin (gagner de l’argent) justifie les moyens ;
  • Si t’as pas d’argent, t’es rien.

Dictons

  • Un sou est un sou ;
  • Il n’y a pas de petites économies ;
  • L’argent n’a pas d’odeur ;
  • Les bons comptes font les bons amis ;
  • On n’emmène pas son argent au cimetière ;
  • Qui paie ses dettes s’enrichit ;
  • L’argent est un bon serviteur et un mauvais maître ;
  • Plaie d’argent n’est pas mortelle.

Nos comportements habituels à l’égard de l’argent

  • Comment on le gagne ;
  • Comment on le dépense ;
  • Aimer ou non emprunter ;
  • Aimer ou non épargner ;
  • Comment on gère notre budget ;
  • Etre ou ne pas être joueur ;
  • Avoir ou non un compte bancaire régulièrement et sérieusement débiteur ;
  • Avoir ou ne pas avoir de comportement d’achat compulsif ;
  • Avoir, ou non, l’expérience de vivre avec très peu d’argent ;
  • Aimer ou non prendre des risques ;
  • Etre naturellement plutôt généreux ou plutôt avare ;
  • Etre propriétaire de son logement, et considérer que c’est la moindre des choses ;N’avoir jamais imaginé de devenir un jour propriétaire de son logement ;
  • Etc.
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