Pour le commun des mortels, gérer son budget est une activité désagréable consistant à « tenir ses comptes », expression qui recouvre des pratiques concrètes diverses et diversement efficaces, accompagnées d’incertitude, d’angoisse et/ou de culpabilité, que l’appareil psychique refoule avec application.
Et pourtant, gérer son budget est une activité à haute teneur philosophique visant à mener une vie sage, dans la lignée des philosophes de l’Antiquité grecque et latine.
Cette affirmation osée mérite explication : depuis le Moyen-Âge, les historiens de la philosophie ont considéré que la philosophie antique avait pour but premier de créer, d’enrichir et d’enseigner des systèmes de pensée qui nous ont été transmis au fil des siècles. Pierre Hadot (1922-2010), professeur de philosophie au Collège de France et ami de Michel Foucault, a remis en lumière avec force une tout autre perspective : selon lui, les philosophes antiques avaient pour préoccupation première de travailler à devenir meilleurs ou, autre formulation, à se guérir de leurs passions qui les empêchaient d’atteindre la tranquillité de l’âme.
Leur pratique de la philosophie avait d’abord une visée thérapeutique : se délivrer des soucis de la vie (la maladie, la souffrance, la mort, la guerre avec leur lot d’angoisse, de tristesse, de peur, de honte et de culpabilité) et leur permettre d’accéder à la simple joie d’exister dans la félicité du moment présent.
Pour eux, le danger principal à combattre était l’hubris, c’est-à-dire l’orgueil, la démesure, l’outrance, la convoitise, la recherche de la toute-puissance – la transgression suprême consistant à vouloir s’égaler aux dieux.
Ils pratiquaient donc des exercices philosophiques – que P. Hadot appelle des « exercices spirituels » (terme qui n’a sous sa plume aucune connotation religieuse) qui articulaient une approche théorique et sa mise en pratique.
Voici quelques exemples d’exercices spirituels :
- S’exercer à la vigilance, à la conscience du moment présent, notamment pour appliquer en permanence certaines règles fondamentales telles que :
- Faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous ;
- Consacrer son attention exclusivement aux premières choses et aucunement aux autres ;
- S’exercer à la maitrise de soi, et à l’indifférence aux choses indifférentes ;
- S’exercer à se remémorer le vécu de sa journée avec un regard critique avant de s’endormir ;
- Apprendre à méditer, à pratiquer l’amitié, à lire des textes de façon approfondie ;
- S’exercer à apprivoiser la mort, à examiner ses rêves, à modérer ses désirs, etc.
Que fait aujourd’hui une personne qui cherche à mieux gérer son budget ? Exactement le même cheminement « spirituel » que les philosophes grecs depuis plus de 25 siècles, mais en se focalisant sur sa vie financière :
- Chercher à faire la clarté sur sa vie, sur les souffrances et les dangers qu’elle endure ;
- Remettre en question au moins une partie de sa façon de vivre, pour la partie qui dépend d’elle-même, notamment face aux tentations envahissantes de la société publicitaire de consommation ;
- Devenir plus critique et plus vigilante à l’égard de sa façon de vivre et des dangers liés à ces tentations ;
- Mener une vie de plus grande sobriété volontaire fondée sur des plaisirs moins coûteux et plus durables tels que l’amitié, que préconisait expressément Épicure en son temps.
Cette mise en perspective donne à la gestion du budget une dimension plus stimulante que son image traditionnelle, même si elle ne supprime pas la réalité des efforts à réaliser. La personne qui s’y engage y trouvera peut-être une motivation d’une tout autre nature…
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