Notre rapport à l’argent : premiers aperçus

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Les analyses ci-dessous illustrent la complexité et l’intensité de notre rapport avec l’argent. Elles résultent du vécu exprimé par les nombreuses personnes ayant participé à des séminaires ou à des ateliers dans le but de mieux comprendre leurs rapports avec l’argent.

Les participants ressentent le besoin ou le désir de parler de leur rapport à l’argent

Parmi les personnes ayant appris l’existence d’un séminaire ou d’un atelier sur l’argent, un nombre non négligeable – 5% ? 10% ? Plus ? – se disent spontanément intéressées par le thème. Le travail réalisé par celles qui y participent montre que cet intérêt n’est pas de façade, mais bien réel.

Pour de nombreuses personnes, l’argent est donc au moins un objet de questions, et parfois un objet de souffrance. Il suscite non pas une curiosité ou une réflexion académique, mais bien un désir de travail personnel qui apparaît presque comme une nécessité dès lors qu’un cadre est proposé.

Ils parlent de leur rapport à l’argent assez facilement

Les participants ne manifestent pas de réserve forte à parler d’argent durant le séminaire, et notamment à approfondir la question ou le problème personnel qu’ils souhaitent travailler à propos de l’argent.

Leurs difficultés à l’égard de l’argent sont multiples

Certains participants souhaitent gagner plus d’argent, pouvoir demander un salaire ou fixer et recevoir des honoraires, mais s’en sentent peu capables, notamment parce qu’ils se disent très incertains de leur propre valeur.

D’autres souhaitent être moins angoissés face à l’argent.

D’autres encore souhaitent travailler pour que les questions d’argent perturbent moins leur vie de couple, ou leurs relations avec leurs parents, leurs enfants, leurs frères et soeurs, ou encore pour développer leur capacité à vivre leur vie avec plus de légèreté.

Autres motivations d’un travail sur l’argent :

  • Incapacité à vivre avec un époux trop riche,
  • Horreur des chiffres, de l’argent, besoin d’apprendre à compter, à gérer son argent pour « devenir un peu libre »,
  • Compulsion d’achat, surendettement, interdiction bancaire perçue comme une punition effroyable, angoisse de ne plus exister socialement,
  • Rapport passionnel et contradictoire avec l’argent,
  • Tendance à se faire escroquer,
  • Etc.

Le plus étonnant est le nombre de personnes ayant des revenus et/ou un patrimoine confortables – souvent gagnés très « régulièrement » par le travail – et qui se plaignent de trop épargner, de ne pas oser dépenser, et qui constatent avec tristesse que, ce faisant, elles s’interdisent de vivre, de jouir pleinement, ou au moins normalement, de la vie.

Les émotions et les sentiments liés à l’argent sont divers et intenses

« L’argent me fait peur, il est lié à la mort ».
« Ma mère a toujours eu honte de cet argent, qui venait de la collaboration avec les Allemands au moment de Vichy ».
« L’argent me terrifie. Je suis interdit de chéquier ».
« J’ai une angoisse économique terrible : pour moi, l’absence d’argent, c’est la mort ».
« Je suis fascinée de pouvoir parler d’argent ». « Je suis en colère contre l’argent qui remplace la religion ».
« J’ai honte d’être pauvre et méprisée par les riches, et en même temps je ressens de la culpabilité car je suis nantie par rapport aux pauvres ».
« Je dépense tout avec plaisir ».
« J’aime compter les sous dans la boite, gagnés avec amour à faire des massages ».
« Avoir des dettes, c’est sacrilège ».
« Lorsque mon père m’a fait cette remise de dette – qui portait sur un montant peu élevé – ça a été pour moi un choc, une stupéfaction, j’ai été très reconnaissant ».

Comme le montrent ces citations, les sentiments à l’égard de l’argent sont non seulement divers et intenses, mais également souvent contradictoires : haine ou mépris et fascination, sentiment de toute puissance et peur de manquer, envie et peur de posséder etc.
Ces sentiments et émotions sont associés à des représentations elles-mêmes multiples et diverses, certaines classiques, d’autres plus inattendues :

  • La liberté, la puissance « virile », le plaisir, la sécurité, l’état adulte, l’abondance, l’indépendance, la propriété – « c’est magique ! » -, le jeu d’investir en Bourse, la terre où s’enraciner, la circulation du flux sanguin, le statut social, la reconnaissance sociale, l’identité et la valeur personnelle, la dignité d’exister, l’amour, l’échange, la réserve d’énergie etc.
  • L’argent est également associé à des représentations négatives, ou neutres, et notamment celles-ci : la saleté, la révolte, le malheur, la douleur, la mort, « l’explosion de ma vie affective », la séduction, l’insignifiance, l’inutilité, l’incompétence, le manque, la compensation d’un manque, Satan, le démon, l’impudeur, la stérilité, l’esclavage, la souffrance – pour le gagner – , la domination ou l’écrasement d’autrui, la destruction de l’amitié, le lien qui ligote, la spéculation dangereuse – « l’argent peut mordre » – , le tabou, le paraître, le malaise, le jeu d’échecs auquel chacun est contraint de jouer, la prostitution, etc.

Le travail sur l’argent touche des parties très intimes de la personne

Le propre de ces séminaires ou ateliers est de permettre aux participants d’explorer leur rapport à l’argent et soulève souvent une problématique : cette exploration conduit rapidement à des expériences de vie anciennes et intimes, à des souffrances jamais révélées et parfois même rejetées dans l’oubli, à des histoires liées à l’enfance et à l’adolescence, à la famille, au fonctionnement du couple parental, à la transmission généalogique, aux premières expériences d’adulte, à la vie de travail, à la maladie, aux héritages etc.

L’argent n’est pas seulement au cœur de la vie économique, il est également au centre de notre vie émotionnelle et affective, pas nécessairement comme objet central, mais comme « accompagnant » actif et parfois moteur. Il est au cœur des « nœuds » socio-psychiques qui parfois nous enchaînent, et nous empêchent d’agir et de vivre comme nous le souhaiterions.

Beaucoup de confusion à l’égard de : combien je gagne ? Quel est mon patrimoine ?

De nombreux participants ne se sont tout simplement jamais posé ces questions clairement, ou font des erreurs importantes, généralement en minorant leurs revenus et leur patrimoine. Certains annoncent une grande difficulté à manipuler les chiffres, à compter, que ce soit l’argent ou autre chose, et ceci depuis l’âge scolaire. Un autre affirme être certain de s’être appauvri au cours des sept dernières années, mais est incapable de justifier cette croyance. Invité à le faire par nos soins, il revient le lendemain en ayant retrouvé des éléments de patrimoine qu’il avait oubliés… !

Nombreux sont ceux qui sont dans l’incapacité de qualifier un échange d’argent avec leur famille : est-ce un don manuel des parents ? Un prêt ? Une avance sur héritage ? Les frères et sœurs ont-ils reçu une somme identique ? Qui a droit à quoi, qui doit quoi à qui dans l’indivision ? Qui est légalement propriétaire de quoi ? Les situations créées sont parfois d’une extrême complexité ou confusion, pour des raisons souvent cachées mais en général très signifiantes dès lors qu’un peu de lumière a pu être faite.

Des freins puissants s’opposent à la perspective de devenir riche

Des participants affirment vouloir devenir riches, voire très riches. Quand on leur demande : « Combien voudrais-tu gagner ? Ce serait quoi, pour toi, être riche ? », on est frappé par le caractère modeste des réponses. On pourrait dans certains cas parler d’une incompétence pathologique à gagner de l’argent.
Ainsi, une personne gagnant à peine plus que le SMIC considère que la très grande aisance, pour elle, serait de gagner 10 % de plus que son salaire actuel, alors que la question autorisait totalement une réponse du type : « Je voudrais gagner quatre fois, dix fois, ou même cent fois mon salaire actuel » !

En l’occurrence, les freins sont multiples :

  • Manque de modèle, de culture familiale par lesquels on apprend à gagner de l’argent et à le dépenser en assez grande quantité, en trouvant cela naturel et normal,
  • Peur ou interdit, inconscients ou non, de dépasser les parents dans ce domaine, et de trahir leurs valeurs et même leur vie (complexe de loyauté),
  • Peur de devoir changer d’amis si on devenait riche,
  • Interdit de jouir des bonnes choses de la vie qu’on peut se procurer avec l’argent,
  • Peur de susciter l’envie ou la jalousie,
  • Peur d’avoir à gérer cet argent, si on en avait beaucoup,
  • Peur de pouvoir en être dépouillé,
  • Idée que l’argent est sale, ou dangereux, qu’avec de l’argent on peut nuire à autrui, ou se détruire soi-même,
  • Incapacité à négocier son salaire, à recevoir de l’argent de la main à la main,
  • Désir de rester assisté, dépendant de quelqu’un – l’État, le conjoint, les parents – plutôt que s’assumer soi-même,
  • Manque d’imagination pour transgresser ce qu’on perçoit comme des interdits sociaux, etc.

Cette autolimitation à l’égard de la richesse est étonnante, là où la croyance commune voudrait que tous les agents économiques cherchent à améliorer leur niveau de vie et leur patrimoine.
Peut-être les classes sociales aisées profitent-elles de cette inhibition à caractère social, et ont-elles tout intérêt à cultiver les dictons tels que « L’argent ne fait pas le bonheur », ou encore l’idée que la vie est dure, que c’est normal d’en baver pour gagner de l’argent, et qu’il ne faut pas rêver de devenir riche, etc.

Il serait intéressant d’imaginer un monde dans lequel tous les humains deviendraient subitement animés d’une forte volonté de devenir riches, d’une grande capacité d’investir, d’entreprendre et de créer des richesses nouvelles, de commercer, de négocier leur salaire ou leurs avantages financiers divers dans un esprit mutuellement constructif. Ce serait, plus que le « grand soir », une vraie révolution sociale !

Les événements historiques, économiques ou sociaux impactent la situation financière des personnes

Il s’agit là d’une affirmation banale, mais elle est abondamment illustrée par les histoires de vie des participants. On rencontre ainsi, pêle-mêle :

  • L’attraction de la fonction publique – au cours de la première moitié du 20ème siècle – pour sortir des métiers de la terre et trouver un métier « qui t’apportera la sécurité de l’emploi »,
  • Les « Trente Glorieuses » et l’aisance ou l’enrichissement qu’elles ont pu apporter ;
  • Le chômage et le développement du travail précaire, et les souffrances qui y sont attachées,
  • L’exclusion bancaire, souvent perçue comme l’antichambre de l’exclusion sociale,
  • Le développement dangereux du paiement indolore par monnaie électronique invisible, la compulsion à dépenser face aux tentations d’achat entretenues par la publicité,
  • La place centrale des études universitaires dans les stratégies d’élévation sociale,
  • La réussite fréquente de ces stratégies – grands-parents agriculteurs ou ouvriers, parents petits fonctionnaires à La Poste ou dans les Chemins de fer, enfants cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale,
  • Les lointaines suites de la première et de la seconde guerre mondiale – la ruine d’un commerce ou d’une usine, les privations, parfois l’enrichissement subit et douteux, etc.,
  • Le retour en catastrophe des rapatriés d’Afrique du Nord ayant dû abandonner toutes leurs richesses,
  • Les emprunts russes,
  • Le développement du divorce rendu possible par l’autonomie financière croissante des femmes,
  • Le sentiment de s’être subitement et gravement appauvri parce que la Bourse a perdu 20 ou 30 % de sa valeur.

La prégnance de ces événements historiques et économiques illustre, s’il en était besoin, que la situation de fortune de chaque individu ne résulte pas uniquement de sa volonté et de son habileté à gérer son argent, ou encore de sa vie intrapsychique, mais également de certains faits sociaux qui traversent sa vie et en déterminent puissamment le cours.

Le bonheur de parler d’argent simplement

Beaucoup de participants retirent une réelle satisfaction de ce type de séminaires, notamment parce qu’ils peuvent mieux comprendre les multiples déterminants de leur rapport à l’argent, et acquérir une plus grande liberté dans leurs conduites financières. Le travail réalisé en quelques jours est parfois impressionnant.

Mais le point le plus remarquable est leur satisfaction d’avoir pu parler ensemble de leurs multiples sentiments, émotions, questions, problèmes, souffrances ou jubilations à l’endroit de l’argent.

Chacun se sent souvent en effet seul face à ses problèmes d’argent, on peut rarement s’en ouvrir en toute confiance à un tiers : les échanges réalisés dans le cadre des séminaires, mêmes s’ils sont parfois douloureux, produisent des moments inattendus de bonheur et un allègement bénéfique pour ceux qui ont osé sauter le pas : le tabou de l’argent a dû reculer de quelques centimètres…

Rapport idéal à l’argent

Que serait une relation idéale des individus à l’argent, même si celle-ci n’existe jamais à l’état pur, ou si elle est exceptionnelle ?

Elle serait caractérisée par les capacités et les pratiques suivantes :

La capacité à se procurer des ressources financières

  • En gagner suffisamment par des moyens légaux et éthiquement satisfaisants, sans avoir à « se tuer au travail »,
  • Faire avec autrui des transactions équitables,
  • Recevoir un don,
  • Recevoir et « digérer » psychiquement un héritage,
  • Emprunter de manière prudente, en fonction de ses capacités de remboursement (Certaines personnes empruntent au-delà du raisonnable, d’autres sont, de manière également quasi pathologique, incapables d’emprunter).

La capacité à utiliser l’argent

  • Le dépenser de manière pertinente pour satisfaire ses besoins les plus vitaux, mais aussi ses désirs,
  • Contrôler ses dépenses en fonction de ses revenus,
  • Rembourser ses crédits en cours,
  • Constituer une épargne,
  • Le donner gratuitement,
  • Le transmettre à ses héritiers.

    La capacité à gérer l’argent

    • Connaître sa propre situation financière : combien on possède, quel est le montant de ses ressources et celui de ses dépenses, et comment tout cela évolue (Pour pouvoir gérer son argent, il faut d’abord « spéculer » – au sens étymologique de « regarder, observer » – afin de faire la clarté là où beaucoup d’individus sont dans la confusion.),
    • Distinguer l’argent sous forme de flux (les ressources et les dépenses mensuelles) et l’argent sous forme de stock (le patrimoine, l’épargne, les dettes),
    • Gérer le budget personnel et/ou familial,
    • Gérer un patrimoine en « bon père de famille » (Cette expression appartient au langage juridique. Avec l’augmentation du nombre des familles monoparentales dans une configuration mère/enfant(s), peut-être verrons-nous un jour fleurir l’expression « gérer en bonne mère de famille »),
    • Prendre des risques raisonnables (ex : dans un placement),
    • Penser l’argent dans la durée, et notamment faire des prévisions de rentrées financières et de dépenses (Mais aussi investir cet argent en vue d’en tirer un revenu ou de constituer un capital),
    • Manier une grosse somme d’argent (ex : pour acheter un logement),
    • Entretenir une relation équilibrée et vigilante avec son banquier.

    La capacité à donner à l’argent une juste place dans notre vie

    • Le regarder comme un moyen, non comme une fin,
    • Ne pas le diaboliser, ne pas le considérer comme s’il était un être humain doué de volonté, avoir de lui une représentation réaliste,
    • Lui donner une place modérée (ni trop, ni trop peu) dans notre vie psychique (nos pensées, nos rêves, nos conversations, nos émotions…),
    • Faire normalement confiance en l’avenir,
    • Faire confiance à un tiers (ce qui n’exclut ni les précautions préalables, ni éventuellement un contrôle a posteriori…),
    • Respecter la loi et les usages.

      A travers cette réflexion un peu théorique, on voit combien il est difficile d’avoir un rapport à l’argent équilibré et simplement fonctionnel.

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