Comme les autres, ce texte n’engage que son auteur, Michel Tournier – pour autant qu’il ait lui-même adhéré à ses affirmations joyeusement audacieuses…
Je mesure aujourd’hui la folie et la méchanceté de ceux qui calomnient cette institution divine : l’argent !
L’argent spiritualise tout ce qu’il touche en lui apportant une dimension à la fois rationnelle – mesurable – et universelle puisqu’un bien monnayé devient virtuellement accessible à tous les hommes. La vénalité est une vertu cardinale. L’homme vénal sait faire taire ses sentiments meurtriers et asociaux – sentiments de l’honneur, amour propre, patriotisme, ambition politique, fanatisme religieux, racisme – pour ne laisser parler que sa propension à la coopération, son goût des échanges fructueux, son sens de la solidarité humaine. Il faut prendre à la lettre l’expression l’ÂGE D’OR, et je vois bien que l’humanité y parviendrait vite si elle n’était menée que par des hommes vénaux.
Malheureusement ce sont presque toujours des hommes désintéressés qui font l’histoire, et alors le feu détruit tout, le sang coule à flots. Les gras marchands de Venise nous donnent l’exemple du bonheur fastueux que connaît un État mené par la seule loi du lucre, tandis que les loups affamés de l’Inquisition espagnole nous montrent de quelles infamies sont capables les hommes qui ont perdu le goût des biens matériels. Les Huns se seraient vite arrêtés dans leur déferlement s’ils avaient su profiter des richesses qu’ils avaient conquises. Alourdis par leurs acquisitions, ils se seraient établis pour mieux en jouir, et les choses auraient repris leur cours naturel.
Mais c’étaient des brutes désintéressées. Ils méprisaient l’or. Et ils se ruaient en avant, brûlant tout sur leur passage.
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Gallimard Folio, Paris 1967, p. 61
Tournier fait preuve de beaucoup d’humour dans ce texte et nous bouscule gentiment…
Original et provocateur ! Point de vue intéressant, à fouiller. Je crois bien, quand même, que je ne suis pas d’accord ! Car la passion de l’enrichissement existe aussi, et on devient tout aussi bien meurtrier pour cela.