Né en 1923 à Nogent-sur-Marne près de Paris dans une famille pauvre d’immigrés italiens, l’auteur décrit, avec un réalisme sans fard et dans une langue crue, les rapports de domination entre les plus riches et les plus pauvres au sein de ce quartier d’immigrés italiens durant son enfance. Cœurs sensibles s’abstenir !
Les Ritals de Nogent descendaient tous d’une même vallée, celle du torrent le Nure, le long duquel étaient semés quelques villages pauvres à crever. Même parmi les pauvres à crever, il y a des riches. Les riches étaient ceux qui possédaient de la terre, une chèvre et un figuier. Les pauvres n’avaient rien. Rien, c’est pas de toit pour dormir, pas de lit, pas d’eau, souvent pas de pain. Les pauvres tiraient leur chapeau devant les riches, baissaient la tête et disaient « Don », ce qui signifie « Seigneur » (…)
Tout ce monde, installé en France, se regroupa autour de ses hiérarchies, c’est-à-dire pauvres et riches. C’étaient les mêmes. Les riches avaient « là-bas » du bien qu’ils pouvaient monnayer pour monter une petite entreprise de maçonnerie. Ils embauchaient les pauvres, qui avaient emmené leur gueuserie accrochée à leur cul. Tout était selon les vues du Seigneur ; les riches à même de faire fructifier le pognon, les pauvres trop heureux de ne pas crever de faim (…)
Le plus pauvre, le plus humble, le plus doux de tous était Luigi Cavanna (…), mon père. C’est à lui qu’on confiait les pires corvées : se tirer du lit en plein sommeil pour aller vider la fosse à purin débordante. Une bougie à la main : si elle s’éteignait, la mort. Détail (…). Il ne refusait jamais. Chantonnait, l’œil sur la bougie.
François Cavanna. Crève, Ducon ! NRF. Gallimard, Paris, 2019, p. 219-220.
Freud n’est pas le seul à faire des liens, aujourd’hui assez bien connus, entre l’argent et les excréments ! Dans le texte intitulé « L’argent sacré des pauvres » tiré de l’ouvrage autobiographique d’Albert Camus (voir ci-dessus dans cet atelier « L’argent et la littérature »), celui-ci mettait déjà en scène sa grand’mère, vieille femme très pauvre qui cherchait à récupérer une pièce de deux francs soi-disant tombée au fond des latrines parce que, dans sa maison « deux francs était une somme » !
Ici, c’est au tour de Cavanna de raconter comment son père, lui aussi très pauvre, n’hésitait pas à faire des besognes répugnantes pour gagner quelque modeste argent et le faisait, lui, au péril de sa vie. Dans l’un et l’autre cas, ces faits semblent avoir bien existé et ne pas être des inventions romanesques. Ils illustrent de façon dramatique à quel point, pour les plus pauvres et au moins symboliquement, l’argent est parfois une question de vie ou de mort.